La France engluée dans une crise du logement qui ne cesse de s’aggraver
Le rapport 2025 sur le mal logement de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) dresse un constat alarmant sur le logement en France
Le logement ne se réduit pas à un bâtiment ou un produit financier, c’est un bien fondamental pour la sécurité et le développement d’un foyer. C’est également un droit de l’homme qui est tout simplement bafoué.
Le rapport 2025 sur le mal logement de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) dresse un constat alarmant sur le logement en France.
“Alors que notre pays s’enfonce dans la crise du logement, l’année 2024 a été marquée par l’attentisme et le renoncement en matière de politique du logement [...] de nombreux indicateurs de mal-logement sont passés au rouge”.
Ces indicateurs décrivent une situation dramatique qui ne cesse d’empirer avec 350 000 personnes sans domicile fixe, 11 millions de personnes pauvres, une augmentation de la précarité énergétique, des expulsions en hausse… Et la politique menée depuis 2017 n’a cessé d’aggraver la situation notamment en augmentant la pauvreté et en réduisant la construction de logements sociaux.
Droit au logement, un principe largement bafoué
De plus en plus considéré comme une marchandise ou un investissement, le logement est avant tout, comme le rappelle l’ONU, un droit de l’homme :
“Conformément au droit international, avoir un logement convenable signifie bénéficier de la sécurité d’occupation d’un logement, sans avoir peur d’être expulsé ou de perdre sa maison ou ses terres. Cela signifie vivre dans un endroit en accord avec sa culture, et avoir accès à des services, des écoles et des emplois appropriés.”
Un constat partagé par le sénat français pour qui ”... le logement [est] parfois qualifié de « produit de luxe » alors qu’il s’agit d’un bien de première nécessité, est devenu le souci quotidien et la dépense principale de nos concitoyens.”
D’autres textes internationaux ou constitutions nationales définissent également le droit au logement comme fondamental. C’est le cas de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies en 1948, qui établit que
”toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. “
Tous les États du monde ont ratifié au moins un traité international relatif au un logement convenable. Ils se sont ainsi tous engagés à “protéger le droit à un logement convenable”. Le droit à un logement convenable protège contre les expulsions forcées et est accessible, physiquement et financièrement, sans discrimination. Un logement convenable dispose “d’eau potable, d’installations d’assainissement suffisantes, d’une source d’énergie pour faire la cuisine, de chauffage, d’éclairage, d’un lieu de stockage pour la nourriture ou de dispositifs d’évacuation des ordures ménagères”.
L'Organisation mondiale de la santé enfonce le clou :
“ l'accès à un logement de qualité est l'une des conditions de base pour mener une vie saine [...] c'est un déterminant majeur de la santé.”
Le droit au logement est ainsi inscrit dans la Constitution de plusieurs pays, comme en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Belgique, aux Pays-Bas, en Pologne, en Slovénie et en Suède.
En France, la Constitution du 27 octobre 1946 indique que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », conditions dans lesquelles semble s'inscrire le droit au logement. S'ensuit la loi Besson de 1990, qui établit que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation ». Puis en 2007, la loi pour le “droit au logement opposable¨ est votée. Elle rend possible une demande à l’État d’attribution en urgence d’un logement social, sous certaines conditions, notamment de précarité.
Toutefois, la réalité de l’application de cette loi est bien décevante. En 2022, la Cour des comptes rapportait que, depuis 2008, moins de la moitié des ménages éligibles au droit au logement opposable avait été relogée dans les délais fixés par la loi.
« Le risque existe que le droit au logement opposable devienne de plus en plus un droit source de désillusions grandissantes. Pour de trop nombreux ménages, il n’est pas encore un droit effectif »
Le constat de la cour des comptes trouve un écho dans celui de la Fondation pour le logement des défavorisés qui alerte dans son dernier rapport sur une situation de plus en plus difficile dans l’accès au logement dans l’hexagone
Un français sur cinq exposé à la crise du logement et les handicapés particulièrement touchés
C’est un constat qui donne le vertige.
La France, septième puissance économique mondiale, abrite un total de 15 millions de personnes affectées par la crise du logement. C’est un français sur cinq qui fait face à des difficultés de logement ayant des répercussions sur sa vie de famille, sa santé, son confort ou son budget. Ces difficultés se traduisent par un logement surpeuplé, une peine à s’acquitter du loyer ou une exposition à la précarité énergétique. Une fois le loyer payé, ce sont presque 6 millions de nos compatriotes qui vivent avec un montant largement inférieur au seuil de pauvreté, soit moins de 650 euros par mois pour un célibataire ou encore moins de 850 euros par mois pour une femme seule avec un enfant en bas âge.
Quelques chiffres donnent une idée de l’ampleur du problème.
Un quart des personnes qui souffrent de mal-logement vivent dans un habitat très surpeuplé ou vétuste.
Ce sont 1,2 millions d’individus qui ne disposent pas de logement personnel, ils sont soit SDF soit hébergés de manière contrainte chez des tiers. En 25 ans, le nombre de personnes sans domicile a quadruplé pour s’établir à 350 000, une croissance relativement constante avec un doublement sur la dernière décennie. Et les conséquences sont dramatiques, avec une moyenne d’âge de 49 ans, 735 personnes à la rue sont décédées en 2024, un sinistre record depuis 12 ans.
Mais, même disposer d’un logement ne protège pas totalement de la dureté des conditions extérieures. Presque un tiers des ménages déclare avoir souffert du froid chez eux en 2024, deux fois plus qu'en 2020. En 2024, les trois quart des ménages ont restreint le chauffage pour maîtriser les factures, c’est 22 points de plus qu’en 2020. Le froid cause une surmortalité de 10 000 personnes chaque hiver, et la chaleur de 5 000 chaque été lors des canicules.
Avec la persistance des prix élevés et l’arrêt des soutien de l’État, près d’un tiers des ménages a rencontré des difficultés pour payer des factures de gaz ou d’électricité en 2024, c’est moitié plus qu’en 2020. En 2023, 1 000 000 de coupures d’énergie ou de réductions de puissance ont été réalisées pour cause d’impayés, presque deux fois plus qu’en 2020.
La Fondation relève une dégradation de tous les indicateurs de mal logement, que ce soit le surpeuplement ou la précarité énergétique. Le nombre d’expulsions locatives avec le recours à la force publique a atteint son record en 2023, avec presque 20 000 expulsions, trois quart de plus qu’il y a 20 ans. Autre record, celui des expulsions de personnes qui vivent dans des squats, bidonvilles, campements, etc. Il s’élève à 100 000, mais sans alternative de logement ces expulsions sont inutiles et cruelles.
Le cas des personnes handicapées est édifiant. Ce sont près de 5,5 millions de ménages qui sont concernés par un handicap ou par des difficultés ou gênes dans la vie quotidienne. Parmi ces ménages, 350 000 sont exposés à une privation de confort ou un surpeuplement accentué. Et plus de 220 000 ménages incluant une personne handicapée font face à des problèmes d’accessibilité du logement.
Même le parc social n’offre pas suffisamment de logements accessibles ou adaptés. Seul un logement sur cinq est considéré comme accessible, et un sur vingt accessible et adapté, ce qui allonge considérablement les délais d’accès au parc social pour une personne en situation de handicap. Des personnes qui subissent une double peine puisqu’une sur quatre vit par ailleurs sous le seuil de pauvreté contre une sur sept pour les valides.
Les obligations d’accessibilité dans les parcs immobiliers privés et publics concernent surtout les logements neufs. Une obligation qui s’étiole, en cause la loi Elan de 2018 qui réduit l’obligation de logements accessibles dans les nouvelles constructions de 100 % à 20 % . Avec la difficulté supplémentaire pour les personnes handicapées d’avoir des loyers plus élevés car situés dans des logements neufs.
Pour finir, comme s’il en fallait plus, la liste des discriminations subie est longue comme un jour sans pain, parmi elles le refus de certains propriétaires ou de leurs assurances de prendre en compte les revenus liés au handicap (AAH, pensions d’invalidité…). D’autres rejettent les personnes sourdes sous prétexte de la crainte qu’elles soient trop bruyantes.
“Confrontées au manque de logements adaptés, les personnes handicapées subissent également de nombreuses discriminations dans l’accès au logement, et doivent trop souvent se rabattre sur des logements inadaptés dont elles deviennent prisonnières. Pour elles, un logement accessible est pourtant la clé pour accéder à l’autonomie, sortir de la vie en établissement ou de l’hébergement par la famille. Pour tant de personnes, vingt ans après la loi de 2005 sur le handicap, l’accès au logement constitue encore un obstacle immense pour vivre dans la cité, comme tout le monde.”
La politique du gouvernement aggrave les inégalités et la précarité face au logement
La pauvreté et les inégalités progressent ces dernières années en France, en partie à cause des choix politiques des gouvernements d’Emmanuel Macron. D’un côté la baisse des prestations sociales pour les plus modestes (RSA, chômage, etc.) et les allégements fiscaux pour les plus aisés.
Le portrait social 2024 de l’Insee relève que les mesures sociales et fiscales de 2023 ont creusé les inégalités en pénalisant les plus pauvres et préservant les revenus des plus riches. Pour le dixième des Français les plus modestes, les mesures de 2023 ont conduit à une perte moyenne de près de 5 % de niveau de vie. Une perte qui se cumule à celles des années précédentes et qui est en grande part due à la non-reconduction des mesures de soutien au pouvoir d’achat prises en 2022 : revalorisation anticipée des minima sociaux, indemnité inflation, chèque énergie exceptionnel, etc.
À l’inverse, pour le dixième le plus aisé, l’abandon des soutiens de 2022 et le nouveau train de mesures socio fiscales vient préserver leur niveau de vie avec même un gain net moyen de quelques centaines d’euros. Un résultat qui doit beaucoup à la suppression en 2023 de la taxe d’habitation pour les ménages aisés.
C’est du Robin des bois à l’envers, comme le souligne la Fondation pour le logement des défavorisés,
“Globalement, les mesures socio-fiscales adoptées en 2023 font fonctionner la solidarité à l’envers, prenant aux pauvres pour donner aux plus riches.”
Depuis 2017, les aides personnelles au logement (APL) ont été désindexées et réduites, voire supprimées, pour les accédants à la propriété. Elles ont baissé d’un quart entre 2017 et 2023. De quoi fragiliser les plus précaires qui font déjà face à de nombreuses difficultés financières entre inflation et crise du logement.
Le gouvernement affiche d’autre part une politique floue sur l’encadrement des loyers, dont l’expérimentation doit s'achever fin 2026 avec une issue incertaine. Cela dans un contexte de restriction budgétaire qui a vu les engagements de l’État s’étioler. Ainsi, les 120 millions d’euros supplémentaires pour l’hébergement d’urgence annoncés début 2024 ne sont jamais arrivés. Il en est de même des 1,2 milliard d’euros pour la rénovation énergétique des HLM. Censé se répartir sur trois ans à partir de 2024, les deux premières années ont vu les contributions se réduire et le solde 2026 est tout bonnement passé à la trappe.
Plutôt que de soutenir des travaux pour améliorer les conditions de vie des habitants des « passoires thermiques », souvent les plus précaires, la modification du diagnostic de performance énergétique en juillet 2024 a fait sortir administrativement 140 000 petits logements de la même catégorie. Sans compter la réduction du budget du dispositif MaPrimeRénov’, celui du « fond vert » de soutien aux collectivités locales dans la mise en œuvre du zéro artificialisation nette, etc.
Le logement est bien loin d'être prioritaire, en témoigne la baisse de l’effort public de 2,2 % du PIB en 2010 à 1,5 % en 2023 malgré une population qui a augmenté de 3 millions depuis 2010. Un investissement moindre qui se traduit par une construction de logements en chute, avec 260 000 logements mis en chantier en 2024 contre 435 000 en 2017.
Pour la Fondation, “l’outil le plus fiable pour relancer le logement sans effet d’aubaine, artificialisation excessive ni spéculation foncière reste évidemment la production Hlm.”
Pourtant, là aussi le bât blesse. Par rapport à 2016, la production de nouveaux logements sociaux a chuté d’un tiers à 82 000 en 2023, le niveau le plus faible des vingt dernières années… un volume qui devrait encore diminuer à l’avenir. Les différents organismes HLM tablent ainsi à terme sur un peu plus de 70 000 nouveaux logements sociaux par an, ce qui devrait les conduire à arbitrer entre production neuve et réhabilitation.
Dans le même temps, ce sont 2,7 millions de demandeurs de logement social qui étaient recensés à la mi-2024… un record, avec un million de demandeurs en plus qu’il y a 10 ans. Pour faire face à cette demande, le parc social a attribué moins de 400 000 logements sociaux en 2023, c’était 500 000 en 2015.
La réponse au million de demandeurs supplémentaires a donc été de réduire l’offre d’attribution de 100 000 logements. Huit ministres du logement depuis 2017 et sept mois sans ministre en 2024 traduisent une instabilité qui porte clairement préjudice à la mise en place d’une politique du logement efficace.